Au Pigeon de Faïence ( Arras )

1. Au fond des caves

Dans le Boulonnais, on raconte que des collections extraordinaires de faïences de Desvres dorment, cachées comme un trésor dans les caves d’anciens des manufactures. L’un d’eux rapporte qu’à la fermeture de l’usine Fourmaintraux, la plus importante,« les gens se seraient battus pour fouiller la terre, qu’on savait remplie de ces carreaux de faïence ». Il arrive qu’une seule pièce manque sur les fresques réalisées sur les façades des commerces desvrois, volée, pour que la fresque perde sa valeur et ne soit pas entièrement dérobée... Aujourd’hui encore, quand une vieille maison ou une ferme, est à l’abandon, les carreaux qui ornaient les âtres des cheminées, sont pillés.

Pour autant, sortie des musées, des antiquaires, des collectionneurs, la faïence de Desvres n’a pas retrouvé grâce aux yeux du grand public. Son esthétique, aux décors chargés, jugée démodée, a fait oublier combien elle est le témoignage d’un art qui, à son apogée, s’exportait partout dans le monde.

2. Aux origines

C’est cette histoire que conte le très érudit L’héritage de Delft à Desvres, les faïences de Géo Martel. Aux origines, il y a ce lieu « géologiquement situé sur la boutonnière du Boulonnais, qui regorge de terres plastiques et est entourée de nombreuses forêts et de rivières » qui explique que Desvres est depuis des temps immémoriaux une « terre potresse ». Mais c’est au XVIIe siècle, que cette industrie se développe fortement « grâce au dynamisme de trois familles », éclairent les auteurs Claire Dumortier, conservateur honoraire des collections de céramiques européennes des Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles, le scientifique Patrick Habets, spécialiste de la porcelaine européenne, et Rita Martel-Euzet, petite-fille de Georges Martel, le fondateur en 1900 de la manufacture Geo Martel. Les productions sont essentiellement des terres vernissées et d’autres céramiques. La faïence est introduite à Desvres vers 1764-766 par Jean-François Sta, le premier à former les Desvrois par des ouvriers et des peintres qu’il fait venir de Saint-Omer et de Saint-Amand-les-Eaux, d’origine néerlandaise pour la plupart. Dès le début du XIXe, l’hygiénisme pousse la fabrication de carreaux de faïence. Desvres compte alors trois faïenciers, puis deux avec la fermeture de Sta : Fourmaintraux et Boulongne. « Tout au long du XIXe siècle, l’énorme production de carreaux issus des faïenceries de Desvres est probablement une des plus importantes du marché français. » C’est avec les progrès techniques vers 1875 et l’avènement du tourisme balnéaire sur la côte d’Opale que se développent les faïences décoratives.

3. Du Delft, à Desvres

Comme d’autres manufactures à l’époque, celles de Desvres, « soutenues par une demande croissante, vont produire une grande quantité de faïences imitant les productions anciennes » détruites par les guerres, l’usure du temps et très prisées par la bourgeoisie, « parmi lesquelles Delft tenait une place prépondérante ». Des pièces que des marchands revendaient comme de l’ancien, de véritables Delft du XVIIe et XVIIIe siècle, et qui circuleront comme telles dans les collections muséales et particulières, avant que des experts ne travaillent sur ce phénomène d’autant plus ardu qu’aujourd’hui encore, « différencier une reproduction desvroise du XXe siècle de l’original en Delft reste un art difficile. La qualité de certaines reproductions faites à Desvres dans le goût de Delft, véhiculées aujourd’hui sur le marché de l’art, est telle que certaines pièces reçoivent des identifications différentes suivant les spécialistes qui les expertisent ».

4. Un musée

Entreprises manufacturières, les faïenciers desvrois n’ont pas résisté à la mondialisation. L’histoire de le céramique manufacturière desvroise s’achève en 2017 avec la délocalisation de la dernière société, qui avait racheté les manufactures Fourmaintraux « plus de deux siècles après la venue de Jean-François Sta ». Reste aujourd’hui quelques artisans céramistes pour poursuivre la tradition. Et un Musée de la céramique, à Desvres, où vous parcourez l’histoire, des premières faïences aux créations d’artistes contemporains.

(1) « L’héritage de Delft à Desvres, les faïences de Géo Martel », éditions Faton, 69 €.