Les francs à cheval et les francs à pied (1360-1424)

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Petit préambule historique: 

Lors de la bataille de Poitiers, le 19 septembre 1356, le Roi de France Jean mérita son surnom de "bon", c'est-à-dire à cette époque "brave" ou "noble", car il 'y faisoit de sa main merveille d'armes, et tenoit la hache, dont trop bien se défendoit et combattoit'; son fils Philippe qui était à ses côtés malgré son jeune âge, n'était pas en reste. Mais cernés par des ennemis plus nombreux, ils durent se rendre à Denis de Morbecque.

Ainsi commencèrent les tribulations et tractations qui devaient permettre la libération du Roi: les trêves de Bordeaux (mars 1357), puis le traité de Londres (mars 1359), qui donnait aux Anglais une grande partie du Royaume de France; une rançon de 4 millions d'écus d'or était imposée pour la libération de Jean II, et l'envoi d'otages était exigé comme garantie. Le Dauphin Charles (futur Charles V), en accord avec les Etats du Royaume, refusa en bloc ce traité; alors le Roi d'Angleterre, Edouard III, monta une expédition pour prendre Reims et s'y faire sacrer Roi de France.

Cette chevauchée n'eût pas l'effet et les résultats escomptés: Reims était trop bien défendue, et le Dauphin ne risqua pas le futur du Royaume en livrant bataille.. le souvenir de Poitiers était encore très présent dans les esprits ! On pratiqua la tactique de la terre brûlée, et au prix de nombreuses dévastations, on laissa les Anglais s'essouffler: 'avec leurs fumières, ils ne peuvent tollir votre héritage', répétait-on au Dauphin. Edouard III fut contraint de négocier de nouveau, à Brétigny: les prétentions territoriales furent revues à la baisse, et la rançon diminuée d'un million d'écus d'or. Le traité fut ratifié (octobre 1360), tout le monde jura de le respecter, et le Roi put être libéré. Il fallut trouver de quoi payer la rançon, dans un Royaume déjà en grande difficulté économique.

L'ordonnance de Compiègne du 05 décembre 1360:

Retour à la monnaie forte et stable, au pied1 24ème. Outre un gros denier blanc aux fleurs de lis (Dy 312), un denier tournois (Dy 335) et un denier parisis (Dy 343), on crée les 'deniers d'or fin, appellez francs d'or fin lesquelx auront cours pour 20 s.t. la pièce, et de 63 de poids2 au marc de Paris' (soit 3.885 g). Est ordonné également un grand franc à cheval (ordonnance du 14 avril 1361): 'que l'on face ouvrer francs d'or plus grands, de 42 de poids audit marc (soit 5.827 g), et auront cours pour 30 s.t. la pièce'. 

Franc à cheval de Jean II le Bon

+IOhAnnES:DEI:GRACIA:FRANCORV:REX, le Roi à cheval au galop, armé et coiffé d'un heaume, tenant la bride et brandissant l'épée

+XPC.VINCIT.XPC.REGnAT.XPC.IMPERAT, croix fleuronnée dans une rosace quadrilobée, cantonnée de trèfles

Avec son franc, le Roi se montrait noble, brave et combattant comme il le fut à Poitiers, et la monnaie évoquait également sa liberté retrouvée, puisque la promesse de payer sa rançon de 3 millions d'écus (plus de 10 tonnes d'or) l'avait affranchi, rendu franc ou libre. Le franc est aussi le symbole de la restauration de l'autorité royale, monnaie forte pour un Royaume fort, comme le demandaient les représentants des Etats Généraux depuis longtemps. Pour permettre le retour d'une monnaie stable et forte, on renonça aux mutations donc à d'importants revenus: des taxes supplémentaires furent imposées, et la gabelle (impôt sur le sel) généralisée.

Son fils et successeur Charles V continua la frappe de francs à cheval, et créa (avril 1365) les 'deniers d'or aux fleurs de lys', appelés communément francs à pied (cours: 20 s.t. et taille de 64 au marc, soit 3.824 g): le Roi y est représenté debout sous un dais accosté de lis, portant une cotte d'arme fleurdelisée, et tenant l'épée et la main de justice. Des francs à cheval et à pied furent frappés en Dauphiné, identifiables par un dauphin en début de légende de revers.

   

Charles V, franc à cheval et franc à cheval du Dauphiné

  

Charles V, franc à pied et franc à pied du Dauphiné

Charles VI n'ordonna pas la frappe de francs, qui fut remplacé par l'écu d'or à la couronne (Dy 369, mars 1385). C'est sous Charles VII, lui aussi pour réaffirmer ou plutôt restaurer son autorité, que le franc fit un court retour (novembre 1422). Si son cours était toujours de 20 s.t., sa taille était de 80 au marc, soit 3.059 g. Remplacé par les écus vieux, il fut frappé ici et là jusqu'en 1424, et reste très rare; il se différencie par la croix du revers cantonnée d'un K en 2 et 3.

Charles VII, franc à cheval frappé à Toulouse

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Les francs à cheval et à pied connurent des imitations, par de nombreux seigneurs féodaux:

Duché de Bretagne: Charles de Blois (1341-1364)

Droit avec KAROLVS:DEI:GRACIA:BRITOnV DU, les lis sur la cotte d'arme sont remplacés par des mouchetures d'hermine; revers similaire au type royal - Connu à un seul exemplaire (3.69 g), 1361 


Comté de Provence: Jeanne Ière (1362-1382)

Franc à pied, 1er des huit types recensés, avec IOhAnA.DI.GR   IhR.SICIL.REG au droit, et la Reine portant une longue robe fleurdelisée; la croix du revers est cantonnée de deux lis et deux couronnelles. Les sept autres types se différencient par leurs légendes. Son fils adoptif Louis d'Anjou, comte de Provence de 1382 à 1384, frappera aussi des francs à pied, avec au droit KALABRI: AnD  LVDOVICVS:DVX, ou LVDOVICVS:REX   IhR:ET:SICIL


Archevêché d'Arles: Guillaume de La Garde (1361-1374)

Franc à pied qui imite les francs de Jeanne de Provence, avec GVICLELMVS.DEI.GRA.P ARLATS ou GVILLS.DEI.GRA   ARC.ARELATEn


Principauté d'Orange: Raymond V (1340-1393)

Franc à cheval, connu à deux exemplaires, avec (cornet)RAMVDVS:DI  GRACIA:PRI  nCEPS:AURA; le quadrilobe du revers est orné de palmettes

Franc à pied, deux types recensés, avec RAmVnDVS.DEI  GRA.PRIC.AVRA ou RAmVnDVS.DEI  GRA:PRn:AVR


Seigneurie de Rumen: Arnould d'Orey

Franc à cheval, deux exemplaires dans le trésor de la Rue Vieille-du-Temple, avec au droit IOhAnnES:EVAR  G:ET ERNOL: DnS:RUMMEnX


Evêché de Cambrai: Gérard III (1371-1378)

Trois évêques de Cambrai frappèrent des francs à cheval:

Pierre IV d'André (1349-1368), avec PETRVS.DI.GR.COMES.EPISCOPVS.CAMEORV 

Robert de Genève (1368-1371), avec ROBERTVS:DEI:GRA EPSETC:OMES:CAMERAC

Gérard III de Dainville (1371-1378), avec GERARDVS:DEI  :GRA:  EPSETC:  OMES:CAMERAX


Duché de Brabant: Jeanne (et Wenceslas) (1355-1406)

Franc à cheval, avec IOhAnnA:DEI:GRACIA:BRABATIE:DUX


Comté de Ligny: Guy de Luxembourg (1364-1371)

Rare grand franc à cheval (5.64 g), avec GVIDO.DE.LVCEN.BORG.COM.DE.LINEIO, et franc à pied; le successeur de Guy, Waléran (1371-1415), frappa également des franc à pied, avec WALERAD.DI.GA.  COM.DE.LINEIO


Comté de Flandres: Louis II (1346-1384)

Franc à cheval; il en fut frappé 81.000 exemplaires à Gand, avec LVDOVIC':DEI:GRA:COMES:Z:DnS:FLANDRIE


Abbaye de Saint-Oyen-de-Joux: Guillaume de Beauregard (1348-1380)

Unique franc à pied, issu du trésor de la Rue Vieille-du-Temple, avec G.DEI.GRACIA.AB   AS.SANTI.OYEND; en 1373, cet abbé fut poursuivi par le roi de France pour avoir imité les monnaies royales


Comté de Hainaut: Guillaume III (1356-1389)

Première ligne: franc et grand franc au cheval (3.66 g et 6.05 g), avec respectivement, au droit GVILLVS:DEI:  GRA:COMES:Z:  DnS:hAnOnIE, et DVX:WILLELM':DEI:GRA:  COM:hAnOnIE (monnaie aussi appelée Cavalier d'or)

Seconde ligne, franc et grand franc à pied (3.81 g et 7.43 g), avec respectivement au droit GVILLhM'.DI.GR  COMES.hAnOIC, et au revers DVX:WILL'S:DEI:GRATIA:COMES:hAIn

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1- Pied de la monnaie - Rapport entre le nombre de pièces taillées au marc, le cours et le titre, calculé par la formule (taille au marc x cours) : (titre x 5). La norme est le gros tournois de Saint-Louis: taillé 60 au marc, 12 deniers tournois de cours et d'un titre de 12 deniers de loi argent le roi, soit (60 x 12) : (12 x 5) = pied 12ième

2- Taille au marc - Permet de déterminer le poids d'une monnaie; donc pour le franc taillé à 63 au marc, et le marc de Paris faisant 244.7529 g, nous avons 244.7529 : 63 = 3.885 g

 

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