Les monnaies islamiques figuratives, par Jean-Philippe Perret
Les monnaies islamiques figuratives
Texte de la conférence présentée devant le Cercle Lyonnais de Numismatique
par Jean-Philippe PERRET
2013
L’art musulman est connu pour sa tendance à l’abstraction, l’art figuratif étant assez rare et pouvant être très mal vu par les autorités religieuses, mais ce rapport à l’image a pu être très différent suivant les périodes et régions de ce vaste territoire. Si l’art des miniatures est très connu, la figuration sur les monnaies est un domaine très peu étudié et qui peut poser beaucoup de questions.
I Du monnayage d’imitation à la définition de la norme
L’interdit concerne l’imagerie pieuse qui ne doit pas représenter de figuration du divin, mais par extension cette interdiction sera souvent appliquée à la figuration d’êtres vivants en général sur les différents supports artistiques de ces cultures, en premier lieu les monnaies. C’est un repli identitaire dû aux mouvements agitant le monde byzantin, aspirant à l’iconophobie au moment du développement de l’Islam, puis voyant le rôle des icônes solennellement restaurée en 843.
Le monnayage arabe d’avant l’Islam était un monnayage d’imitation dépendant des modèles gréco-romains/parthes puis sassanides et byzantins. C’est donc logiquement vers l’étalon or byzantin et l’étalon argent persan que tendra le nouveau monnayage suivant les ateliers concernés en présentant des monnaies figuratives. Mais trente ans après leur conquête de tout le Moyen-Orient, les arabes n’ont pas encore de monnayage propre. Le calife Abd-El-Malik sera à l’origine de la grande réforme monétaire qui définira pour des siècles le monnayage du califat.
Fals d’Abdel-Malik reproduisant le dinar d’or de l’époque (toute fin VIIe siècle). Ae, 17 mm. Almanumis
Cette réforme concernant le monnayage d’or et d’argent s’effectue en deux étapes : l’or en 696 et l’argent à partir de 698 ou les autorités échangent les dirhems nouvellement frappés contre les drams sassanides qui partent à la refonte. Les nouvelles monnaies d’or et d’argent sont désormais parfaitement aniconiques et présentent un fort contraste avec les monnaies des périodes précédentes. C’est non seulement le portrait du souverain qui est banni mais également son nom alors que la date apparaît de manière généralisée pour la première fois, près de 850 ans avant sa généralisation en Europe. Le texte principal est le début de la Khalima, profession de foi du croyant musulman.
Dirhem omeyyade frappé à Wasit en 91 A.H (709 A.D). Ar, 24 mm. Almanumis
Le mouvement d’imitation pu également s’inverser et ce seront les Byzantins qui, au cœur de la querelle iconoclaste, s’inspireront des monnaies arabes.. Suite à la fin de cette querelle, les symboles sacrés retrouveront toutes leur importance sur le monnayage byzantin. 250 ans après la fin de la querelle, le monnayage byzantin sera a nouveau imité en terres d’Islam par de nouveaux acteurs de l’histoire du Proche Orient.
II L’arrivée des Turcs, des croisades aux Ottomans : âge d’or et déclin de la figuration
De nombreuses dynasties turques se constituent à partir du XIe siècle, en particulier celle des Seldjoukides, les Artuqides et les Zangides qui frapperont de nombreuses monnaies figuratives en bronze, de l’Anatolie au Kurdistan irakien actuel. Toutes ces dynasties vont adopter un monnayage de bronze figuratif très riche. On peut distinguer un monnayage d’imitation et un monnayage original. Le premier est inspiré à la fois de Byzance mais aussi de l’antiquité gréco-romaine. On retrouvera ainsi des figures d’empereurs et de christ byzantin mais également des reproductions de profil des souverains grecs séleucides, d’empereurs romains, de rois sassanides, des têtes ¾ face de type asiatique, mais faisant aussi penser aux monnaies au profil d’Hélios frappées à Rhodes, ou encore des imitations de monnaies romaines du haut et bas empire. On peut penser que l’antiquité classique était encore très présente en ces contrées en inspirant fortement les artistes locaux et que leur production plaisait aux nouveaux maîtres qui combattaient les croisés sans faire preuve d’intransigeance en terme religieux pour autant. Les monnaies zodiacales sont également une spécialité de ce monnayage, renouant avec la tradition antique et posant beaucoup de questions.
Dirhem de Kilidj Arslan IV frappé lors de son premier règne (646-647 A.H, 1248-49 A.D), atelier de Sivas. Ar, 23 mm, 2,8 gr. Anatolian coins
Dirhem d’argent de Kai Khusru II (634-643 A.H, 1237-45 A.D) frappé à Sivas en 638 A.H (1240 A.D). Ar, 23 mm, 2,9 gr. Anatolian coins
Dirhem de bronze de l’artuqide de Madin Nasir al-Din Artuq Arslan (597-637 A.H 1201-1239 A.D) frappé à Madin en 599 A.H (1202). 9,95 gr, 28 mm. Monnaies de Notre Dame
Dirhem de bronze de l’artuqide de Madin Najm al-Din Alpi (547-572 A.H 1152-1176 A.D) . Imitation d’un bronze colonial romain à l’avers et d’une monnaie byzantine du XIe siècle à la Vierge couronnante. Date d’émission et atelier inconnu. 15,12 gr, 33 mm. Anatolian coins
Parmi les multiples dynasties turques, l’une d’entre elles monte peu à peu grâce à son premier chef, Kazi (1258-1324), qui se retrouve à la tête d’une force grandissante de plusieurs milliers d’hommes lui permettant de conquérir une partie de l’Anatolie. Son fils Osman donnera le nom de la dynastie : les Ottomans qui conquerront Constantinople en 1453. Avec la conquête de l’Egypte en 1517, les Ottomans prennent le titre de calife qu’ils garderont jusqu’à la chute de leur empire.
Dès les premières monnaies frappées par cette dynastie, le style est uniquement épigraphique avec l’invention du symbole de la dynastie : la tughra : elle formera le principal sujet des frappes monétaires ottomanes jusqu’à la fin de l’Empire et influencera le monnayage de nombreux souverains, même antagonistes, comme les iraniens.
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