L’héritage numismatique de Louis de la Saussaye
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L’héritage numismatique de Louis de la Saussaye
De son nom complet, le chevalier Jean-François Paule-Louis de La Saussaye, naît le 6 mars 1801 à Blois. À la mort de son père en 1815, il est recueilli par son oncle M. de Réméon qui habite le château de Troussay à Cheverny. Louis de La Saussaye, par ses recherches, souvent pionnières en son temps, a connu une notoriété bien au-delà de son département de naissance. Ses recherches et ses publications ont eu une résonance nationale et même internationale.
Il restaurera son château de Troussay - plutôt une gentilhommière - en partie grâce à des éléments d’architecture qu’il réussit à acquérir suite à la démolition d’édifices qui firent appel du temps de leur gloire à des artistes de qualité. Il faudra attendre janvier 2000 pour que le domaine de Troussay (le château, les dépendances et le parc) soit inscrit à l’inventaire des monuments historiques.
Son « héritage »
Louis de la Saussaye était avant tout un passionné d’Histoire. Toute sa vie, il mit son talent au service de cette passion de multiples façons. En particulier, il parcourut la Sologne et le Blaisois avec un regard d’archéologue rigoureux... et romantique. Il restitua le résultat de ses investigations dans de nombreux ouvrages dont l’approche, à l’époque, était très innovante. De plus, excellent dessinateur, il documenta ses écrits de nombreux croquis explicites, voire de dessins plus aboutis.
De la Saussaye était en relation avec tout un réseau de savants, d’archéologues, de numismates (1) et était notamment ami avec Prosper Mérimée, premier inspecteur général des Monuments historiques. Il publia (entre autres) :
- Histoire de la Sologne blésoise (1835) ;
- Guide historique du voyageur à Blois (1835) ;
- Histoire du château de Chambord (1837) ;
- Mémoires sur les antiquités de la Sologne (1838) ;
- Histoire du château de Blois (1840) ;
- Histoire de la ville de Blois (1846) ;
- Antiquités de la Sologne blésoise (1848).
La numismatique a occupé une grande place dans son oeuvre
Louis de la Saussaye, lors de ses investigations archéologiques sur le Blaisois, a réservé une place à part à l’étude des monnaies antiques, et plus particulièrement gauloises : « La Sologne blésoise.../... fut très anciennement habitée, et dut nourrir une population considérable, qu’une suite de circonstances malheureuses fit graduellement disparaître.../... Sous la domination des Romains, la Sologne fut traversée par différentes voies que les conquérants traçaient d’ordinaire sur l’alignement des vieux chemins gaulois.../... Tous les enfouissements numismatiques.../... ont été découverts le long des vieilles voies de la Sologne blésoise.
En 1826, des recherches.../... entreprises sur le bord du lac de Soings, et près de la ferme du Chastellier, mirent au jour les fondations de plusieurs constructions antiques.../... Parmi les décombres se rencontraient fréquemment des médailles du haut empire, mêlées à un grand nombre de petits-bronzes gaulois. La trouvaille d’un trésor composé de médailles gauloises en or, et d’un collier du même métal, ne fut connue que l’année d’après, le maçon, chargé de la fouille, ayant tenu cette découverte secrète afin de s’approprier la totalité du trésor.../... Soings est un bourg de la Sologne blésoise, très remarquable par sa position sur le bord d’un lac, par les ruines de constructions gallo-romaines dont le sol est rempli, et surtout par son antique champ de sépultures qui, depuis près d’un siècle, a fourni un nombre considérable de vases funéraires... (2) ».
Naissance de la « Revue numismatique françoise »
Félicien de Saulcy (3) nous renseigne sur la création de la « Revue de la numismatique françoise » par Louis de la Saussaye et Étienne Cartier dont le premier numéro paraît en 1836. Les deux fondateurs dirigent la revue jusqu’en 1855. Renommée « Revue numismatique », titre qui permet d’élargir le sujet aux monnaies et médailles de tous pays et toutes époques, la publication perdure jusqu’à nos jours. Félicien de Saulcy entretint dans les années 1833 à 1835, des relations épistolaires assidues avec de la Saussaye et Cartier à propos des découvertes et de l’étude des monnaies antiques (6). La Saussaye écrit, le 21 avril 1834 à son ami de Saulcy qu’il connaît visiblement de longue date. Il dévoile un peu de sa vie privée : « Je reprends avec incroyable jubilation et délectation merveilleuse notre correspondance interrompue il y a quelques dix ans. Je me suis marié en 1828 à la fille de mon beau-père et à la place de finance qu’il occupait à Blois... La glorieuse (4) est venue me créer des loisirs obligés dont je tire parti de mon mieux pour la plus grande gloire de la terre natale à laquelle je me suis consacré tout entier et que j’explore sous toutes faces... Je suis heureux de penser qu’après avoir fait tous les deux la vie de garçon d’une manière plus ou moins morale, nous en sommes à vanter, chacun de notre côté, le plaisir du coin du feu près d’une bonne femme, d’un bon petit garçon et d’une suite numismatique à laquelle j’ajouterai pour mon compte une collection de tous les objets de curiosité se rattachant à l’histoire du Blésois ».
Citons à nouveau Françoise Dumas (5) : « La Saussaye auteur, en 1833, d’un «Essai sur l’origine de la ville de Blois et sur ces accroissements jusqu’au Xe siècle», participe pleinement à cet élan de renouveau de l’histoire nationale qui se développe dans les années 1830. La Saussaye voisine avec un autre correspondant de Saulcy que ce dernier connaît depuis peu : Étienne Cartier, d’Amboise (6) ».
Puis, en parlant de la création de la « Revue numismatique française » : « L’aventure réunit deux tempéraments bien différents. D’un côté La Saussaye, fortuné, mondain, désinvolte enthousiaste, impulsif, de l’autre Cartier, plus modeste, plus mesuré, moins généreux.../... obstiné, brocardé par plus d’un correspondant.../... Le succès premier de cette entreprise s’explique par le contexte scientifique, l’intérêt nouveau pour l’histoire nationale qui s’affirme peu avant les années 1835-1836. Mais il est dû d’abord à la volonté tenace et à l’enthousiasme de deux hommes aussi dissemblables que possible. Qu’il nous soit permis en guise de conclusion de rappeler en quels termes ambigus l’Institut célébra la création de la Revue lors de l’éloge de La Saussaye, en 1884 : « En 1836, il publia avec M. Carlier la Revue numismatique. On fut étonné de voir deux hommes de province offrir à la Science un recueil qui lui a été de si grande utilité» (7) ».
Outre de nombreux articles parus dans la Revue numismatique, Louis de la Saussaye publie un ouvrage majeur en 1842 : « Numismatique de la Gaule narbonnaise ». Édition Blois, Bureau de la Revue numismatique - 204 pages.
Félicien de Saulcy, en 1866, écrit, à propos du monnayage gaulois et de l’action de son ami La Saussaye (8) :
« Il y a quarante ans à peine, les monnaies de nos ancêtres étaient encore dans un discrédit complet. Rejetées avec dédain, elles passaient généralement aux yeux des antiquaires pour des monuments d’une barbarie tellement grossière, qu’ils étaient absolument indignes d’être étudiés et admis dans les cabinets choisis.../... Puis la Revue de la numismatique française fut fondée (en 1836), et mon savant confrère et ami, M. de la Saussaye, prit immédiatement à coeur de réhabiliter l’histoire monétaire des Gaulois, nos aïeux. Il y réussit à merveille, et son exemple fut suivi avec ardeur par un petit nombre de numismatistes amis de nos antiquités nationales. M. de la Saussaye, dès le début de ses travaux sur cette branche de la science numismatique, reconnut et démontra victorieusement que l’on se trompait du tout en tout, en attribuant les monnaies gauloises les plus grossières aux temps les plus reculés, et que c’était précisément le contraire qui était la vérité. Dès ce moment, un très grand pas était fait, et il devenait plus que probable que les vieilles monnaies de nos ancêtres finiraient par être attribuées avec autant de certitude que les monnaies grecques anépigraphes (9) ».
Sa formation et son parcours professionnel
Louis de La Saussaye fait ses études au collège de Blois où il obtient le prix d’Honneur en 1816. Il poursuit des études sanctionnées par une licence et un doctorat ès lettres. Militaire, il sert dans les gardes du corps du roi. Revenu à la vie civile, il occupe d’abord, à Blois, la fonction de percepteur des contributions pendant deux ans à la suite de son beau-père avant de devenir bibliothécaire bénévole de la ville jusqu’en 1830. Le 22 août 1854, il est nommé recteur de l’académie de Poitiers puis recteur de l’académie de Lyon du 28 septembre 1856 à 1873.
Entretemps, en 1833, Louis de la Saussaye participe à la fondation de la Société des sciences et lettres du Loir-et-Cher. En 1845, il est élu membre titulaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il assura par ailleurs les mandats de maire de Cormeray, conseiller général du canton de Contres puis vice-président du conseil général de Loir-et-Cher. Il prend sa retraite de « l’Instruction publique » le 1er septembre 1874 et décède le 25 février 1878 au château de Troussay à Cheverny.
Jean-Pierre Terrien
Lexique :
(1) Numismate : amateur de monnaies et médailles.
(2) Louis de la Saussaye : « Revue numismatique françoise ». Blois - 1836.
(3) Félicien de Saulcy : archéologue et numismate, conservateur de musée, il est aussi sénateur sous le second Empire.
(4) Les journées révolutionnaires des 27, 28 ,29 juillet 1830 ont aussi été appelées « Les trois glorieuses ». Elles renversèrent Charles X et mirent fin à la Restauration. Il en coûta à de la Saussaye son poste de percepteur, d’où son allusion à des « loisirs obligés »...
(5) Françoise Dumas : « La création de la revue de la numismatique françoise à travers la correspondance de Saulcy » - Revue numismatique, 6e série, tome 29 (1987).
(6) Étienne Cartier : ancien manufacturier, puis caissier à la Monnaie de Paris.
(7) Mém. de l’Institut national de France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 31, 1884, p. 158.
(8) Revue Archéologique, janvier à juin 1866. Nouvelle Série, Vol. 13 (janvier à juin 1866), pp. 400-418. Aperçu général sur la numismatique gauloise extrait de « Introduction du dictionnaire archéologique » (époque celtique), publié par les soins de la commission de la topographie des Gaules. Félicien de Saulcy.
(9) Anépigraphe : sans inscription.