2- L'atelier monétaire et les monnaies du Mont-Saint-Michel (1420-1427/1453)

Reading time 9 min

Voici une de synthèse présentant le monnayage issu de l'atelier monétaire du Mont-Saint-Michel.

Par lettres patentes données à Mehun-sur-Yèvre, en date du 09 octobre 1420, le Dauphin-régent Charles, fils du Roy de France [...] duc de Berry, de Touraine et conte de Poitou, considérant la grant loyaulté, bonne et vraye obeissance en quoy ont touzjours esté et seront au plaisir de nostre seigneur, envers mond. seigneur et nous, les manans et habitans de la ville du Mont-Saint-Michel [...] nous, par grant et meure deliberacion des gens du grant conseil de mond. seigneur et de nous, avons voulu et ordonné, et par ces presentes voulons et ordonnons une monnoye estre faicte et constituée, et icelle constituons en ladicte ville du Mont-Saint-Michel, pour y faire ouvrer et monnoyer tout ouvrage tant d'or comme d'argent, en faisant telles et semblables monnoyes que mond. seigneur fait faire à présent, en poix, cours et aloy [...]¹.

La création de cet atelier nouveau, qui récompensait une loyauté affirmée, et une longue résistance à l'occupation anglaise², permit également de faire concurrence à la réouverture de celui de Saint-Lô par Henri V d'Angleterre en avril 1420. Le temps d'édifier les bâtiments et les fourneaux, de nommer les officiers, ouvriers et monnayeurs, et de trouver du billon d'or et d'argent à convertir en monnaies, l'atelier ouvrit effectivement vers juin 1421³. Comme la plupart des nouveaux ateliers de cette époque, il adoptera comme différent sa lettre initiale de son nom, le M en fin de légendes⁴, qui aura quelques variantes.  

Période du Dauphin-régent Charles, juin 1421 - octobre 1422:

Ecu d'or (vente Parsy 2006, © BSFN)

Quatre écus d'or du Mont-Saint-Michel ont été attribués au Dauphin-régent: un exemplaire dans la collection Beneut, et trois issus du trésor de La Lucerne (dont celui illustré ci-dessus), avec ces légendes:

+KAROLVS‡DEI‡GRACIA‡FRANCORVm‡REX m

+XPC★VICIT★XPC★REGNAT★XPC★IPERT★ M

Au droit, un M oncial:    et au revers un M gothique sur un annelet:  . 

Ces écus ont été classés d'abord à l'émission du Dauphin de juillet 1421⁵ (23 karats, taille 68 au marc soit 3.599 g, différent: O pointés); mais récemment⁶, une proposition de réattribution les donnent plutôt à Charles VII, en raison du poids de deux d'entre eux notamment (3.71 g et 3.73 g, les deux autres font 3.46 g et 3.56 g mais sont bien rognés), et également en raison de l'absence de O pointés (différent que l'on retrouve bien sur des écus du Dauphin frappés dans d'autres ateliers). Il faudrait alors les classer parmi les écus dit vieux de la 1^ère émission⁷, même s'il manque les différents de celle-ci, les O long (à KAROLVS) et rond (à FRANCORVM). 

______________________________

Le Dauphin a également frappé des gros dit florette (cours 20 d.t.) dans les nombreux ateliers des territoires qui lui étaient fidèles, et ce depuis sa fuite de Paris en mai 1418. D'abord aux conditions que les mêmes gros du Roi Charles VI, les émissions se succédèrent rapidement, ainsi que les dévaluations: au départ au titre de 425^‰ et au poids de 3.059 g (80 au marc), les florettes du Dauphin sont, au moment de l'ouverture de l'atelier du Mont, au titre de 119^‰ et au poids de 2.039 g (120 au marc)⁸. Les légendes sont:

+KAROLVS⋮FRANCORV⋮REX

+SIT⋮nOmE⋮DnI⋮BENEDICTV

                           Gros dit Florette, 15^ème émission                                                    Gros dit Florette, 16^ème émission

La 15^ème émission se caractérise par les O fendus en haut et en bas, la présence d'un annelet dans le treillis de la couronne au droit, et d'un annelet sous (ou dans) une couronnelle au revers. La croisette initiale est à pied fiché et tranché et les A non barrés⁹. 

La 16^ème émission¹⁰ garde les O fendus, les croisettes initiales sont pattées, et tous les autres différents sont supprimés⁹. Le titre baisse encore, à 93^‰, et le poids théorique est de 2.056 g (taille 119 au marc). Les florettes de ces deux émissions portent le différent M gothique sur un annelet , sur les deux faces, et leurs styles rappellent celui des florettes d'Angers, qui a certainement fourni le matériel et peut-être même une partie du personnel au Mont. 

Trois autres émissions¹¹ suivront, ordonnées sans différents particuliers: on gardera la taille de 120 au marc (2.039 g), mais le titre baissera à l'extrême, les exemplaires de la dernière émission seront quasiment en cuivre (successivement 79^‰, 39^‰, et 26^‰). Aucun exemplaire de ces émissions n'a été identifié ou retrouvé.

Le 22 mai 1422, les florettes furent décriées, il était inadmissible qu'un gros de 20 d.t. puisse être quasiment en cuivre, 'lesquelz gros sont faulx et mauvois, tant en poix comme en loy'. Mais le Dauphin voulait un retour à une bonne monnaie, d'abord en Dauphiné en septembre, puis en novembre 1422 après la mort de son père Charles VI.

Période du Roi Charles VII, 01 novembre 1422 - 1427/1453:

L'avènement de Charles VII marque le retour d'une monnaie plus saine et forte, avec la monnaie dite au K¹²; l'ordonnance du 01 novembre, qui reprend celle de septembre en Dauphiné, prévoyait la frappe d'un éphémère franc à cheval (D451), d'un blanc "à l'écu" (D460), d'un petit blanc (D461), d'un double tournois (D484), d'un denier tournois (D485) et d'une obole tournois (D486). L'atelier du Mont-Saint-Michel n'a vraisemblablement pas frappé de doubles, deniers et oboles tournois.

              Blanc à l'écu: 10 d.t. - 359^‰ - 90 au marc: 2.719 g                      Petit blanc à l'écu: 5 d.t. - 319^‰ - 160 au marc: 1.529 g

Ces deux types restent aujourd'hui rares, tous ateliers confondus, surtout le petit blanc¹³, car ils ne furent frappés que durant trois mois. Les deux monnaies portent le M gothique sur annelet . Les légendes sont les mêmes que les florettes précédentes, les ponctuations peuvent varier.

___________________________________

Le 21 janvier 1423, changement de type avec une nouvelle ordonnance, avec écu d'or dit écu vieux (D453), blanc (D462) et petit blanc à la couronnelle (D463); cette fois-ci, c'est la petite couronnelle que l'on retrouve sur toutes les monnaies de l'ordonnance. Pour l'écu d'or, 1^ère émission, il est ordonné à 24 karats, taillé à 64 au marc (3.824 g), et 25 s.t. de cours; voir en début d'article pour la proposition de réattribution des écus du Dauphin à Charles VII.

Blanc à la couronnelle: 10 d.t. - 2.719 g - 399^‰

Ce blanc est meilleur en titre que le blanc précédent, et c'est probablement en ce début de 1423 qu'on remplace le M gothique sur annelet par le M oncial, différent présent sur les deux faces de ce type:  . Le petit blanc à la couronnelle n'est connu que par un exemplaire unique, frappé dans un atelier indéterminé. Légendes identiques au blanc précédent, et la ponctuation peut varier.

___________________________________

Nouvelle ordonnance, nouveaux types, le 04 novembre 1423: création du blanc aux trois lis (D464), et de son petit blanc (D465).

       Blanc aux trois lis: 10 d.t. - 399‰ - 80 au marc (3.059 g)       Petit blanc aux trois lis: 5 d.t. - 319‰ - 128 au marc (1.912 g)

Ces deux types sont les plus communs pour l'atelier du Mont-Saint-Michel; le M oncial est présent sur les deux faces, et on en connait quelques variations, avec annelet, étoile ou sautoir en-dessous:   . Légendes identiques au blanc précédent.

___________________________________

En août 1424, nouvelle ordonnance pour l'écu vieux, une 3^ème émission (D453B) qui abaisse le poids à 70 au marc (3.496 g) et le titre à 23 karats (958^‰); elle se caractérise par l'ajout d'une petite étoile sous la croisette initiale.

Cet écu n'est connu que par cet unique exemplaire, vu récemment⁶. Il possède la petite étoile caractéristique au droit, et peut-être des traces d'un annelet sous la croisette du revers¹⁴. Il pèse 3.36 g, et porte à la fois, le M gothique sur un annelet  au revers et un M oncial  au droit; l'utilisation des deux différents semble être caractéristique des écus. Pour sa datation, voir ci-dessous. Légendes:

+KAROLVS‡DEI‡GRACIA‡FRANCORVm‡RE m

+XPC★VI'CIT★XPC★REGNAT★XPC★ImPERAT★ M

___________________________________

Par lettres de Poitiers en date du 08 septembre 1425¹⁵, Charles VII donne ses droits de seigneuriage aux défenseurs et aux religieux du Mont, pour aidier à nos très chers et bien amez les chevaliers et escuiers estans de par nous à la garde de lad. place, et aux religieux dudit lieux, à supporter les grant fraiz, mises et despens [...] nous leur avons donné et donnons [...] tout le droit de seigneuriage de nostre dicte monnoye, c'est assavoir moictié ausdits chevaliers et escuiers et l'autre moitié ausdiz religieux [...], pour un an commençant du jour de la date des présentes. Le 24 avril 1426¹⁶, il renouvelle la donation, que ilz puissent mectre sus et faire batre, forger et monnoyer monnoye à nostre coing, poys et loy audit lieu et ville du Mont-Saint-Michel, jusques au temps et terme de trois ans, à commencer du jour de la date de ces dictes présentes.

L'exécutoire de la donation du 24 avril 1426¹⁷ demande que ilz facent faire, ouvrer et monnoier en ladicte monnoye deniers d'or appellez escus à la couronne, à 23 carats, de 70 deniers de pois au marc de Paris, qui auront cours pour 25 s.t. la pièce [...]; deniers blancs de 10 dt la pièce, à 5d. de loy arg. le Roy, de 6 s. 8 d. de poys audit marc [...]; et deniers petits blans de 5 dt la pièce, à 4d. de loy arg. le Roy, de 10 S; 8 d. de poys audit marc [...]. 

Les conditions du denier d'or sont celles de la 3^ème émission de l'écu vieux ci-dessus (émission qui s'étend d'août 1424 à août 1426); on peut donc supposer qu'il fut frappé entre avril et août 1426 au Mont.

Les blancs et petit blancs ordonnés dans l'exécutoire ci-dessus sont encore ceux aux trois lis de la 1^ère émission; la 2^ème émission est datée de mai 1426 (avec croissant sous les croisettes initiales, D464A et D465B), et la 3^ème d'août de la même année (avec étoile sous les croisettes initiales, D464B et D465C). Aucun exemplaire de ces deux émissions n'a été retrouvé (même si on m'a signalé un blanc aux trois lis avec une étoile sous les croisettes initiales et un M oncial final, mais sans photo et sans poids).

___________________________________

Blanc dit florette: 10 d.t. - 359‰ - 72 au marc (3.399 g) 

Alors qu'on présumait que les blancs aux trois lis étaient les derniers à être frappés au Mont, ce blanc dit florette (1^ère émission, 29 décembre 1426 au 27 août 1427) est apparue, et a été vendu sur eBay fin 2018. Il porte comme différent le M oncial simple au droit  . D'après le Dr Bailhache¹⁸, les florettes avec un M oncial en fin de légendes sont pour Mouzon; or cet atelier avait pour différent le M oncial avec l'annelet 16^ème en 1423, et le M couronné en 1429, ce qui n'est pas le cas ici. 

Mais le style relâché, un peu grossier et le poids très léger (annoncé à 2 g) pour une florette de la 1ère émission, peuvent en faire un faux d'époque..

___________________________________

Il semble qu'après 1427, si aucune monnaie du Mont-Saint-Michel n'a été retrouvée, son atelier n'a jamais été fermé, même s'il dût connaître de grandes périodes de chômage: n'est pas cité comme étant ouvert ou fermé dans les lettres de Poitiers du 28 mars 1431¹⁹, qui confirmaient ou abolissaient certains ateliers, et est cité comme étant ouvert en 1435 et en 1453.

______________________________

1- Recueil de documents relatifs à l'histoire des monnaies frappées par les rois de France, par F. de Saulcy, tome II, page 271

2- Depuis août 1417, le roi d'Angleterre Henri V a entrepris la conquête de la Normandie, avec la prise de Caen (sept. 1417), Saint-Lô (mars 1418), Cherbourg (sept. 1418), et Rouen (janv. 1419); au printemps de cette année, seul le Mont-Saint-Michel résiste encore et toujours aux Anglais, malgré leur blocus et leurs attaques

3- Un compte daté de mai 1421 révèle que l'atelier n'était pas encore en état de fonctionner à cette date - Voir: Encore les monnaies du Mont-Saint-Michel: nouvelles attributions et bilan provisoire, par J.P. Garnier (1999), BSFN, pages 1992-1998

4- D'autres ateliers ont produit des monnaies avec la lettre M final, mais les confusions semblent peu probables: Mirabel, M avec point ou annelet 3^ème - Montpellier, M et point 4^ème -  Mouzon, M avec annelet 16^ème, puis M couronné - Mazères, avec annelet 5^ème

5- Duplessy 413A, page 217

6- Un écu d'or inédit frappé au Mont-Saint-Michel pour le roi Charles VII. Et la proposition de réattribution de ceux de sa régence à son règne, par J.Jambu (2019), BSFN, pages 289-296

7- Duplessy 453, page 246 (janvier 1423)

8- Duplessy 417P, page 221 > 15^ème émission (12 avril au 08 octobre 1421)

9- Communication de D.Lemaire, qui prépare un ouvrage référence sur les florettes, avec une refonte complète des classements de celles-ci 

10- Duplessy 417Q, page 221 > 16^ème émission (08 octobre 1421 au 03 février 1422)

11- Duplessy 417R, S et T > 17^ème, 18^ème et 19^ème émission  (03 février, 16 février, et 20 juin 1422)

12- Toutes les monnaies de l'ordonnance portent un K oncial, sur l'une ou l'autre face - Appellation inusitée aujourd'hui, pour éviter les confusions avec les monnaies au K de fin 1431

13- Connu à deux exemplaires, atelier du Mont, dont celui illustré, vus très peu de temps sur Ebay en 2018

14- Cet annelet sous la croisette est le différent de la 2^ème émission de l'écu vieux (mars 1423), ce qui peut montrer la réutilisation des coins à la 3^ème émission après avoir servi à la 2^ème

15, 16 et 17- Recueil de documents relatifs à l'histoire des monnaies frappées par les rois de France, par F. de Saulcy, tome III, pages 39 et 42

18- L'atelier temporaire du Mont Saint-Michel sous Charles VI et Charles VII, 1924, RN 27, pages 33-54       

19- Recueil de documents relatifs à l'histoire des monnaies frappées par les rois de France, par F. de Saulcy, tome III, pages 95-98